En 1950 on comptait une mégapole dans le monde, New York. Elles sont 7 en 1980, parmi lesquelles on retrouve Tokyo, México, Sao Paulo, Shanghai, Osaka, Buenos Aires et New York. Aujourd’hui on dénombre pas moins de 29 mégapoles dans le monde. 65 % de la population mondiale devrait vivre en zone urbaine en 2025, cette projection grimpe à 80 % dans les pays en développement. De plus, le rythme de l’urbanisation s’intensifie.
Dans ce contexte d’accélération et d’intensification de l’urbanisation la logistique pensée et appliquée au milieu urbain fait face à des enjeux de taille.
La logistique urbaine fait référence à la façon d'acheminer dans les meilleures conditions les flux de marchandises qui entrent, sortent et circulent dans la ville. Elle soulève des problématiques complexes car son champ englobe de multiples éléments qui possèdent leurs propres caractéristiques : habitat, activité économique, gestion urbaine, transport, écologie, sécurité, partage de la voirie, congestion, bruit etc. De ce fait, les parties-prenantes de la logistique urbaine sont toutes aussi nombreuses et leurs intérêts parfois difficiles à concilier. Parmi celles-ci on trouve :
En zone urbaine le coût du foncier fait pression sur les espaces de stockage qui se réduisent au profit d’espaces de vente. Les pratiques du juste-à-temps et de la minimisation des stocks se généralisent. De plus, en centre-ville les espaces de livraison sont quasi inexistants, cela entraîne donc des problématiques de congestion et un rapport avec l’usager tendu.
La livraison du dernier kilomètre, problématique inhérente à l'optimisation de tournées et à la logistique urbaine, est aujourd’hui omniprésente. En cause notamment, l’explosion du e-commerce qui a conduit en France, en 2016, à la livraison de 450 millions de colis dont 86% à domicile. L'omniprésence de la livraison du dernier kilomètre se traduit donc par une empreinte de plus en plus visible :
Les autorités ne cessent donc de réglementer cette activité pour protéger les acteurs de ses externalités négatives. Cela a néanmoins pour conséquence de contraindre des professionnels qui doivent également faire face à un contexte urbain qui ne cesse de se complexifier et une exigence client accrue.
Milena Janjevic est ingénieur chercheur pour Qalinca, une Chaire qui existe depuis 2007 à la Faculté des Sciences Appliquées (Polytech) de l’Université Libre de Bruxelles, Département BEAMS : activités d’enseignement et de recherche en logistique, qualité, transport & supply chain management. Docteur, diplômée de l’Université Libre de Bruxelles en gestion du transport et de la logistique, Milena Janjevic dispense également des cours pour le Master interuniversitaire de Spécialisation en Transport et Logistique. Un programme qui a pour objectif de fournir une formation de pointe dans le secteur des transports. Au sein de ce programme elle dispense des cours sur la logistique urbaine. Un domaine d’étude sur lequel elle a également effectué plusieurs travaux de recherche :
En Europe, quel état des lieux pouvons-nous faire de la logistique urbaine ?
Milena Janjevic (ingénieur chercheur) : Bien que les différents segments de marché du fret urbain disposent de canaux de distribution et d’organisations logistiques spécifiques, nous pouvons mettre en évidence certaines caractéristiques communes aux chaînes logistiques urbaines.
La logistique urbaine est généralement caractérisée par des opérations très fragmentées. En effet, une grande partie des flux sont constitués de livraisons fréquentes de petites quantités, ce qui découle directement de commandes effectuées par les petites entités selon une logique d’approvisionnement en flux tendu. Combiné à un marché du transport de courtes distance très fragmenté, cela entraîne souvent une optimisation logistique sous-optimale avec une faible utilisation de la capacité du véhicule.
Le transport urbain de marchandises est également soumis à d’importantes contraintes spatiales et temporelles. L’environnement urbain se caractérise par la pénurie d’accès, des routes congestionnées, une infrastructure de chargement et de déchargement limitée et des opérations de livraison qui se déroulent généralement en voirie. Les livraisons doivent souvent être effectuées dans des créneaux étroits, mais les opérations sont sujettes à de nombreuses perturbations telles que les fermetures d’accès pour cause d’événement spéciaux comme des marchés, les travaux routiers, les accidents ou la congestion.
Ces caractéristiques spécifiques combinées à la pression réglementaire croissante et à la concurrence élevée exercent une pression significative sur les acteurs de la logistique urbaine.
Quels seront les défis majeurs à venir pour les professionnels d’ici 2020 ?
MJ : Nous pouvons mentionner plusieurs tendances socio-économiques, commerciales et logistiques en cours qui devraient amplifier le niveau de la demande pour les livraisons de fret urbain et donc accroître les défis liés à leur réussite.
Tout d’abord, l’augmentation des populations urbaines et la croissance économique continue dans les zones urbaines entraînent une augmentation de la demande de services de transport de marchandises. En 1950, 30 pour cent de la population mondiale était urbaine, et d’ici 2025, 66 pour cent de la population mondiale devrait être urbaine.
Deuxièmement, les tendances telles que l’accroissement de l’individualisation et de la personnalisation des produits et l’augmentation des activités de vente au détail sur Internet entraînent une atomisation des livraisons et, par conséquent, un volume de transport accru ainsi qu’une augmentation des fréquences de livraison. Les entreprises sont tenues d’aligner en permanence leurs systèmes de distribution aux nouvelles attentes de niveau de service, à la sensibilité aux prix et au comportement d’achat des consommateurs tout en assurant des opérations économiquement concurrentielles.
Troisièmement, l’étalement logistique (c’est-à-dire une tendance pour les installations logistiques à sortir du milieu urbain) entraîne une augmentation des distances parcourues par la route, des émissions supplémentaires et une augmentation de la congestion routière.
Quels sont les leviers qui permettraient aux professionnels de mettre en oeuvre une stratégie de logistique urbaine efficace tout en respectant le cadre légal et environnemental ?
MJ : Les entreprises peuvent mettre en œuvre un large éventail de stratégies afin d’accroître l’efficacité des opérations liées au dernier kilomètre et pour s’adapter à la pression réglementaire croissante.
Par exemple, elles peuvent redéfinir leurs réseaux de distribution dans les zones urbaines en ajoutant des points de transbordement supplémentaires comme les centres de distribution urbains ou les entrepôts mobiles. L’introduction de ces plates-formes logistiques supplémentaires peut permettre de grouper ou de dégrouper les flux de marchandises ainsi que de faire usage de véhicules mieux adaptés au dernier kilomètre, respectant les réglementations environnementales locales. La principale barrière reste cependant le coût de transbordement supplémentaire.
Les livraisons en horaires décalées sont l’une des solutions qui permettent d’éviter le trafic en heure de pointe et donc d’améliorer l’utilisation du réseau de distribution existant tout en évitant les conflits d’utilisation du réseau routier avec le transport de passagers.
Les entreprises peuvent également améliorer l’efficacité de leurs opérations grâce à une collaboration verticale et horizontale accrue. Une collaboration verticale avec des partenaires de leur chaîne approvisionnement, en particulier avec les destinataires de fret, est une condition préalable à la réorganisation des activités logistiques (telles que les livraisons en horaires décalées) et peut également conduire à une rationalisation de la livraison, grâce par exemple à l’ajustement de la fréquence de livraison. La collaboration horizontale entre les prestataires logistiques est considérée comme un moyen de remédier à la logistique sous-optimale en partageant la capacité logistique disponible entre plusieurs acteurs. Dans ce domaine, les innovations en matière de TIC devraient constituer un moteur majeur pour les solutions de transport collaboratives en permettant une affectation et un acheminement dynamiques du fret.